CHAPITRE IX

 

CAL

 

 

Une sacrée affaire, ce débarquement. On était précédé de deux sloops de pêche dont le faible tirant d’eau a permis de longer la côte sans danger. À bord, un matelot était chargé de tenir constamment vers le large une lanterne ouverte d’un seul côté pour ne rien laisser apparaître en direction de la côte. La troupe a été embarquée sur trois bricks, deux autres ont chargé les antlis.

J’ai laissé quatre robots à Kankal sous la direction de Salvo. Ils doivent passer la nuit à harceler le camp du Rajak en hurlant un leitmotiv : « Soldats de Senoul, vous allez être écrasés, vous allez tous mourir. » Ça peut paraître simplet, mais il faut tenir compte de la mentalité des soldats de cette époque. Je pense qu’ils vont être tourmentés, traumatisés, d’autant qu’à chaque hurlement cinq flèches vont faire chacune une victime !

Il est probable que les prêtres vont réagir, faire éteindre les feux – ce qui ne gêne pas la vision des robots – et éparpiller leurs troupes. Mais au matin, selon toute logique, il devrait y avoir une centaine de morts dans leurs rangs et les autres ne seront pas frais ! Les cinq robots n’ont emporté que leurs arcs, je garde les arbalètes pour la bataille décisive, tout à l’heure.

Deux heures avant le jour, les robots doivent regagner le poste de garde pour renforcer la petite garnison au cas où une attaque serait déclenchée au gué. Ça paraît peu probable, mais il valait mieux la prévoir.

Quel boulot pour faire débarquer les antlis ! On avait fabriqué des radeaux mais le passage des bricks aux radeaux a été épique ! Enfin tout le monde s’est retrouvé sur le sable d’une grande plage pendant que les bricks regagnaient le port. Je veux qu’ils soient de retour à leur appontement au jour. À ce moment-là, on devrait être en position, derrière le camp du Rajak, dans une longue prairie, serrée entre les collines et la forêt.

On y est d’ailleurs presque. Plus que deux kilomètres à vue de nez. Encore trois heures de nuit. J’appelle Sistaz.

— On avance encore un kilomètre et on stoppe. Les hommes dormiront, les miens iront en reconnaissance et monteront la garde. Ça te va ?

— Oui, les archers ont besoin de repos, la marche a été longue.

— Je sais, mais il valait mieux faire douze kilomètres qu’être surpris à l’aube.

Un cavalier arrive un moment après et je reconnais un de mes hommes, enfin… un de mes robots !

— On arrive à la prairie.

— Envoie-moi Stuil, je réponds brièvement. Sistaz, fait installer tes hommes à la lisière sud. Pas de feu, pas de bruit, qu’ils dorment.

Il s’éloigne donner ses ordres et Stuil est là presque tout de suite.

— Stuil, installe un cordon de guetteurs autour de la position et envoie des patrouilles dans les collines et vers le camp du Rajak.

— Bien.

Il fait faire demi-tour à sa monture et disparaît. Je me demande un instant si les antlis savent qu’ils sont dirigés par des machines, enfin des non-vivants ? Mes deux cents robots sont tous à antlis, ma garde prétorienne ! Ils sont capables de se battre aussi bien à pied que montés. À mon avis, ils feront la décision tout à l’heure. Mais ce ne sera tout de même pas facile ! Qui m’aurait dit que moi, logicien d’Europe, je serais un jour quelque chose comme général en chef d’une troupe médiévale ?

Je mets pied à terre et m’accroupis contre un arbre en repoussant la dague de ma botte droite qui me blesse la cheville. Il n’y a plus qu’à attendre. Une silhouette approche et je reconnais Casseline avant même de distinguer ses traits. Elle ne dit pas un mot et s’assied près de moi. Ses cheveux brillent dans l’obscurité, faisant un halo autour de son visage. Elle bouge un peu et se blottit contre mon épaule. Au bout d’un très long moment, sa voix grave s’élève.

— Le combat sera dur, n’est-ce pas ?

— Oui, probablement, mais nos chances sont sérieuses malgré la disproportion apparente, ne t’inquiète pas.

— Ce n’est pas cela, j’ai toujours su que nous serions vainqueurs. Mais je… je regrette, c’est tout.

— Quoi donc ?

— Eh bien, on ne sait jamais ce qui peut arriver, pendant une bataille. Je… j’aurais voulu avoir un enfant de toi…

De la part d’une Vahussie, c’est la plus belle déclaration d’amour et je réagis en l’écrasant contre moi. Pour cette race, le fait de faire l’amour n’est pas entouré des tabous que les Terriens lui ont collés. Pour eux c’est naturel, important mais naturel. Un homme et une femme s’aiment bien, bon, ils font l’amour. Ils se désirent sans qu’aucun autre sentiment vienne se glisser : ils font l’amour. Et malgré cette mentalité, ils ne le font pas plus souvent que les Terriens ! Mais c’est peut-être plus propre, moralement. Et de toute façon, seule la femme peut décider d’avoir un enfant en provoquant délibérément sa fécondation. La décision vient d’elle, c’est pourquoi il s’agit d’une preuve d’amour authentique.

Pour faire tomber un peu la tension, j’essaie de blaguer :

— Dis-donc, tu n’es pas très encourageante pour moi. Tu me vois mort ?

Elle tourne la tête de mon côté, lève lentement une main dont les doigts viennent effleurer mon visage, le parcourant à petites touches légères.

— Je sais que tu partiras un jour, Cal, que je te perdrai, c’est pour cela que je ne veux pas te quitter, pour pouvoir me souvenir plus tard. C’est pour cela aussi que je veux un enfant de toi.

Quelle étonnante prescience ! Elle sait déjà… Je suis à la fois attristé et émerveillé. Mais au cours de mon premier séjour, la mère de Louro, mon premier ami vahussi, avait aussi confusément compris que ma présence était limitée dans le temps, que je n’étais pas un homme tout à fait comme les autres.

Mais son acceptation du destin, malgré la peine qu’elle en aura, me fait éprouver plus de tendresse encore pour Casseline. Je ne peux pourtant rien faire d’autre. Elle n’est pas assez évoluée pour accepter ma vie, ces perpétuels changements dans le temps. Ce ne serait pas un cadeau à lui faire que de la déraciner, lui faire connaître une nouvelle époque à chaque réveil. Non, je ne peux pas. Moi, j’avais déjà tout perdu avec la Destruction de la Terre, j’étais déjà un errant, un déraciné. Elle, non. Ce serait trop égoïste.

Je prends son visage entre mes mains, le regarde longuement dans la vague lueur de l’aube qui arrive, et me baisse pour déposer sur ses lèvres un baiser dans lequel je mets tout mon amour.

— Je ne veux pas que tu sois triste, ma Cassy.

— Je ne le suis pas. Cal, seulement je regrette de ne pas avoir d’enfant. Voudras-tu ?

— Oh ! Bien sûr ! Tu sais, tu ne pouvais pas me donner plus de bonheur.

— Quand ?

— Après notre victoire. Si tu veux, tu viendras t’installer chez moi.

Elle se redresse.

— Tu veux que je sois vraiment ta femme ?

— Oui, évidemment. Tu aurais préféré le cacher ?

— Oh ! non, non ! dit-elle en revenant se blottir entre mes bras… Je suis heureuse. Cal.

Je n’ai pas le temps de lui répondre, Sistaz est là.

— Il est temps d’avancer. Cal, le soleil sera là dans une demi-heure.

Je regarde le ciel à travers les branches des immenses arbres, cent cinquante mètres plus haut.

— D’accord, allons-y !

Nous nous redressons et Ripou apparaît. Il devait être de l’autre côté de l’arbre, en bon garde du corps de Casseline.

Les hommes sont déjà debout et s’agitent nerveusement. Je me mets en selle au moment où Stuil arrive.

— Les patrouilles sont rentrées. Il y avait un petit détachement dans les collines, là-bas de l’autre côté de la prairie, fait-il en levant un bras. Il a été anéanti. Le camp du Rajak est toujours endormi. Pas de sentinelle dans la forêt avant deux kilomètres.

— Envoie un groupe de chez nous pour les descendre avant notre arrivée. Sistaz, apparemment, notre plan peut être mis en place, c’est aussi ton avis ?

Le grand Vahussi réfléchit puis hoche la tête en silence. Que de choses en quelques mois ! Je revois Sistaz là-bas sur le bord de la piste, individualiste forcené et le voilà maintenant chef d’une petite armée.

On se met en marche et, au jour, nous arrivons en vue du camp. Stuil emmène ses hommes et Sistaz lève le bras pour donner l’ordre aux siens de sortir de la forêt. Un bruit sourd de piétinements nerveux et peu à peu l’armée de Kankal se range en un triangle compact, l’un des angles tourné vers le campement. Chaque soldat pose, couché devant lui, un bouclier d’un mètre cinquante de haut. À la main, ils tiennent leur arbalète et ils ont posé à terre la lance de quatre mètres de long que je leur ai fait fabriquer. Cinq cents hommes, décidés maintenant, qui tiennent entre leurs mains l’avenir d’une Civilisation ! Le respect de l’individu contre le fanatisme. Je m’attarde avec un tantinet de complaisance à cette idée qui flatte mon orgueil. Lou ne me quitte plus d’une semelle et, comme Casseline reste aussi à côté de moi, suivie de son ange gardien Ripou, nous formons une petite troupe !

Malgré la fatigue d’une nuit mouvementée, les sentinelles, là-bas, ont donné l’alarme et le camp du Rajak s’anime. Les hommes courent dans tous les sens, mais leur organisation finit par jouer et leurs rangs s’ordonnent. Rapidement, une file, sur deux hommes de profondeur, s’étend sur presque toute la largeur de la vallée. Ils s’étalent au maximum avec la volonté évidente de nous encercler. Tant pis pour eux. Imitant Sistaz et ses officiers, nous faisons coucher nos antlis au milieu du triangle où un espace a été aménagé.

Une demi-heure se passe comme ça. Nos hommes, prévenus, sont tous à genoux ou assis, lance, bouclier et arbalète à terre, invisibles des ennemis qui doivent se demander ce qui se passe, les pauvres ! Ce n’est peut-être pas très militaire, mais je sais que cela décontracte un peu l’armée de Kankal.

Ça y est ! Ils y vont ! Les hommes du Rajak s’ébranlent, marchant d’un pas lourd. Lou doit me prévenir discrètement lorsqu’ils auront atteint la portée de nos arbalètes. À un centimètre près, il est capable d’évaluer la distance !

Un grand silence se fait sur la plaine. Les animaux semblent deviner ce qui se passe. On n’entend que le bruit des milliers de pieds qui frappent le sol, devant nous, et c’est assez impressionnant. J’imagine que le Rajak a installé sa cavalerie derrière, pour le moment décisif Nos hommes paraissent nerveux.

— Ils ont l’air drôlement pâle, ces grands Soldats-de-Frahal, tu ne trouves pas, Sistaz ? je hurle pour être entendu de l’ennemi aussi.

Un petit frémissement court nos rangs. Sistaz a compris et me lance d’une voix forte.

— Je ne vois pas le Rajak, il doit être caché derrière…, le grand chef de Senoul !

— Tu ne veux pas dire qu’il a peur d’une poignée de misérables comme nous ? je renvoie.

— En tout cas, ses soldats n’ont pas l’air très courageux non plus !

— C’est parce qu’on les a fait lever trop tôt ! Cette fois les nôtres rient. C’est une bonne vieille plaisanterie de Senoul où les chantiers sont ouverts au jour alors que les soldats se lèvent deux bonnes heures plus tard. Si bien que les Compagnons ont coutume de les traiter de fainéants. Ce rappel a provoqué un rire salutaire. Ils s’agitent maintenant, échangent quelques mots à mi-voix sans manifester la crainte confuse de tout à l’heure.

Un toussotement à côté de moi. Lou vient de me faire savoir que la distance est bonne. Les rangs ennemis sont à deux cents mètres et j’attends encore une vingtaine de secondes avant de commencer :

— Souvenez-vous, soldats, visez juste au-dessus de la tête, à cette distance. Je vous laisserai le temps de le faire tranquillement. Et surtout attendez le signal pour tirer la première flèche. C’est comme pour la mise à l’eau d’une nouvelle coque, il faut coordonner les efforts de chaque équipe pour faire le meilleur travail, allez, les deux premiers rangs, arbalète à la main ! Épaulez… Visez chacun l’homme qui vous fait face… Attention… TIREZ !

J’ai hurlé l’ordre et deux cents flèches, courtes, méchantes, lancées avec une force incroyable de la part de ces arbalètes métalliques, strient l’air.

Là-bas, une énorme brèche s’est ouverte au milieu de la formation ennemie. Il y a certainement eu beaucoup de ratés, à cette distance, mais le résultat est quand même là ! Et nous sommes trop loin pour que leurs archers répondent. Ils doivent subir notre feu sans pouvoir réagir… Démoralisant !

— Chaque flanc séparément, je lance à Sistaz qui, aussitôt, s’adresse aux hommes du côté droit du triangle tandis que je m’occupe du côté gauche, maintenant que nous avons déblayé le terrain au centre des rangs ennemis.

Notre seconde salve fait moins de dégâts mais, pendant que mes deux premiers rangs rechargent les deux sillons de leur arbalète, les deux suivants tirent à mon commandement. J’ai mis au point comme ça six rangs tirant par groupe de deux, ce qui laisse le temps de recharger et permet un feu roulant.

Des hurlements parviennent d’en face. Les gradés de Senoul essaient de mettre de l’ordre parmi leurs soldats qui reculent en se bousculant.

Il ne faut pas laisser souffler la troupe du Rajak et je suis sur le point de lancer l’ordre d’avancer, lorsqu’il y a du remue-ménage là-bas. Leur cavalerie se met en place et charge. Bon sang, ils sont au moins cinq cents cavaliers ! Je fais déposer les arbalètes aux trois premiers rangs, pendant que les suivants continuent le tir.

Voilà les antlis. Ils ne sont pas à plus de cent mètres, avançant en désordre mais avec un grondement impressionnant. Mes Vahussis serrent les fesses, mais ne bougent pas.

— Les lances en position, je hurle.

Une forêt de pointes hérisse immédiatement notre formation, chaque homme appuyant la hampe au sol pour encaisser le choc. Les cavaliers ennemis ont aperçu trop tard le danger, lancés à toute vitesse, l’épée haute. Le premier contact est terrible. En plusieurs endroits, nos rangs sont enfoncés.

— Reformez, je crie, restez à vos places.

Çà et là des gradés transmettent mes ordres et obligent les hommes à reprendre place, bouchant les trous avec de nouveaux parterres de lances venues des lignes arrière. Nos premiers blessés sont tirés vers le centre, à l’abri. Ça y est, le hérisson est reformé et les cavaliers piétinent, essayant en vain de pénétrer dans notre formation et d’arriver au moins au contact pour utiliser leur épée.

Les arbalètes n’ont pas cessé de tirer et un bon tiers de la cavalerie est maintenant couché au sol. Désorientée, harcelée, perdant des hommes à chaque seconde, elle fait soudain demi-tour ! Heureusement que j’ai fait fabriquer des quantités de flèches d’arbalète, on en a déjà tiré un bon nombre. Ce qui me donne une idée. Je jette un œil autour de moi et croise le regard d’un homme qui est en train de recharger son arme. Il porte l’insigne de sergent, à l’épaule.

— Toi, prends cinquante hommes et reste derrière nous quand on va avancer. Vous récupérerez toutes les flèches que vous trouverez.

— … Où ça, fait-il, décontenancé ?

— Sur les cadavres des cavaliers, je lance, mauvais.

Ses yeux s’écarquillent mais il hoche la tête et appelle des hommes autour de lui pendant que je signale à Sistaz de faire avancer la troupe de cent mètres.

On laisse le petit détachement derrière nous, avec les blessés intransportables. Les autres ont pour consigne de se traîner jusqu’à la forêt, et on avance au trot. Pris de vitesse, le Rajak ! Il n’a pas eu le temps de faire reculer ses troupes qui encaissent huit volées de flèches à la suite, avant de réagir.

Je vois leurs archers se mettre en position et je commande aux nôtres de s’abriter derrière leur bouclier. En un instant, les hommes installent devant eux les larges boucliers de bois tenant debout tout seuls sur deux espèces de pieds. La formation entière est à l’abri lorsque la salve senoulienne arrive, tambourinant sur notre protection ! À l’abri, nos arbalétriers ripostent tranquillement. Ils ont pris confiance depuis le début de la bataille en s’apercevant que jusqu’ici l’ennemi a eu de grosses pertes, alors que chez nous il y a encore peu de dégâts.

Je me redresse un instant, et j’aperçois la cavalerie dans le camp du Rajak. C’est le moment, je crois, et je plante une lance à l’oriflamme rouge à l’extrémité.

Une clameur immense et mes robots jaillissent de la lisière par rang de dix, comme à la parade, mais dans un vacarme assourdissant. Les antlis frappent le sol en cadence malgré la furie de la charge et le bruit en est ainsi multiplié. Ils se dirigent droit sur les débris de la cavalerie ennemie. J’ai le temps d’apercevoir l’éclair de deux cents épées levées ensemble donnant une extraordinaire impression de puissance. À deux contre trois, les robots en ont pour quelques minutes à anéantir leurs adversaires !

Effectivement, j’aperçois Stuil qui stoppe brusquement, ameute ses hommes et les fait ranger sur une seule ligne. Tout seul, dix mètres devant, il lève son épée et la fait tournoyer. Les deux cents antlis se mettent en ordre au trot derrière lui. Évidemment, il n’y aura aucune victime dans ma cavalerie. Seul un désintégrateur pourrait anéantir un robot de combat. Si, au combat, leurs moyens « humains » sont insuffisant, ils ont pour consigne de lancer une décharge électrocutante et, en cas de danger extrême de désintégrer l’ennemi potentiel. Donc, même à un contre cinquante, au pire, la victoire ne pourrait être trop discutée.

Stuil amène son épée devant lui, à l’horizontale, et les deux cents antlis prennent le galop. Ça a une gueule extraordinaire. Le Rajak ne le sait probablement pas, mais il est bien fichu, le pauvre chéri !

Au moment où je pense à ça, notre formation se remet en marche, accélérant peu à peu. Et puis nos Vahussis semblent pris d’une frénésie et foncent, abandonnant les rangs.

— Arrêtez, je hurle. Sistaz, arrête-les !

Il est trop tard. Excités, nos hommes sont partis à l’assaut en désordre. Seulement leur entraînement au combat à l’épée est trop léger, ils vont se faire massacrer ces imbéciles !

— Lou, j’ordonne, va dire à Stuil d’établir un cordon autour des arbalétriers !

Je fonce vers mon antli. Il faut essayer de rameuter ceux qui sont encore vaguement lucides. Si tout à l’heure, nos arbalètes et nos boucliers nous donnaient un énorme avantage, ce sont des handicaps maintenant en combat singulier, trop encombrant pour pouvoir manier l’épée efficacement.

Casseline. Je l’aperçois soudain à mes côtés, me rendant fugitivement compte qu’elle ne m’a pas quitté depuis le début.

— Ripou, emmène Casseline dans la forêt.

— Cal, non, je t’en prie…

— Cassy chérie, les hommes se sont mis en danger, il faut les rameuter et ça va être difficile, je t’en prie, ne me cause pas de préoccupation supplémentaire.

— Je t’aime. Cal, dit-elle en allant vers sa monture, suivie de Ripou qui a l’épée à la main.

La bataille est confuse, mais j’ai l’impression que nous contenons avec peine l’adversaire. Au moment où je fais avancer mon antli, j’aperçois loin à droite deux cavaliers qui s’enfuient : le Grand Prêtre et un autre homme.

Je me lance au galop. Ils ne m’ont pas vu et s’enfoncent dans les collines. Si je peux les abattre et ramener les corps, la bataille prendra fin aussitôt. Je fonce.

Ils ne sont plus qu’à cent mètres environ et suivent une vallée encaissée quand je reconnais le Rajak sous la cape du Grand Prêtre ! Son compagnon est un vrai prêtre lui. De mieux en mieux. Ça y est, ils m’ont aperçu, échangent quelques mots et stoppent. Surpris, je tire les rênes et m’arrête à mon tour. Ils sortent l’épée et chargent…

Juste le temps de dégager la mienne pour parer un coup du Rajak. Mon épée sonne et j’encaisse un choc dans l’épaule. Il faut être drôlement costaud pour manier ces trucs pendant toute une bataille ! Je riposte par un coup de pointe, mais je suis trop loin et puis le prêtre est déjà là, il faut que je pare son attaque. Commence alors un petit ballet où je m’efforce de les empêcher de m’encadrer. Soudain, je vois une ouverture : le Rajak me tourne le dos et le prêtre est plus à gauche. J’éperonne ma monture qui bondit. Je lève l’épée et frappe sèchement la garde du Rajak qui perd son arme. Je lève le bras à nouveau pour l’assommer du plat de ma lame, quand ma bête s’effondre sur le côté !

Je vois en un éclair le sol s’approcher et un choc terrible m’ébranle le côté droit du visage. Plus rien…